Rétrospective Jean Eustache : « Après la révolution »

Cinéma

L’Institut français d’Israël est coproducteur et coordinateur de la rétrospective Jean Eustache dans les cinémathèques de Tel Aviv, d’Herzlyia, de Holon et de Jérusalem. 


LES FILMS

LONGS-METRAGES


La Maman et la Putain (1973)
Avec Bernadette Lafont, Jean-Pierre Léaud, Françoise Lebrun
Alexandre, jeune oisif, vit avec (et aux crochets de) Marie, boutiquière sensiblement plus âgée que lui. Il aime encore Gilberte, étudiante qui refuse la demande en mariage qu’il lui fait en forme d’expiation. Il accoste, alors qu’elle quitte une terrasse, Veronika, interne à Laennec. « Je me laisse facilement aborder, comme vous avez pu le constater (…) Je peux coucher avec n’importe qui, ça n’a pas d’importance. » Marie accepte, quoique difficilement, de partager son homme avec elle.



Mes petites Amoureuses
(1974)

Avec Ingrid Caven, Dionys Mascolo, Martin Loeb
Daniel, est un jeune garçon taiseux qui observe les filles avec convoitise. Il est élevé par sa grand-mère, à la campagne. Quand il atteint l’âge de 13 ans, sa mère, qui vit avec un ouvrier agricole dans un tout petit appartement à Narbonne, décide de le prendre avec elle. Daniel arrête l’école à contrecœur et entre comme apprenti chez un mécanicien. Il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers qui passent leur temps libre au café, à fumer et à échafauder des stratégies pour séduire les filles.



La Rosière de Pessac
(1968)

Documentaire
Printemps 1979. Eustache revient à Pessac, 11 ans après son premier documentaire, pour filmer de nouveau l’élection et la cérémonie de la Rosière. La jeune fille choisie cette fois a poussé au pied d’une tour HLM. Les trente glorieuses s’achèvent, le chômage est dans tous les discours.



Numéro Zéro
(1971)

Documentaire
Jean Eustache filme sa grand-mère, Odette Robert, 70 ans, qui raconte l’histoire de sa vie : son enfance heureuse, la mort de sa mère, la cohabitation douloureuse avec sa belle-mère, sa rencontre avec son mari, bien vite volage. Elle évoque les quatre enfants qu’elle a perdus, les maladies, les déménagements, la honte et les disputes. Elle confie aussi son inquiétude pour son petit-fils et pour son arrière-petit-fils qu’elle aimerait voir grandir encore quelques années.


COURTS-METRAGES


Le Père Noël a les Yeux bleus (1966)
Avec René Gilson, Michèle Maynard, Carmen Ripoll
Pour Noël, le jeune Daniel rêve de s’offrir un duffle-coat, ce qui lui permettrait de dissimuler ses hardes avantageusement. Il accepte donc de poser pour un photographe dans les rues de Narbonne, déguisé en père Noël. Méconnaissable sous sa barbe blanche, il accoste les passants – et surtout les passantes – leur proposant de se serrer tout contre lui le temps d’un cliché.



Du côté de Robinson
(1964)

Avec Aristide, Daniel Bart, Dominique Jayr
Daniel et Jackson, deux dragueurs sans-le-sou se retrouvent Place Clichy pour chasser la souris. Dans les rues de Montmartre, ils accostent une femme qu’ils décident d’accompagner au dancing. En chemin, elle se confie à eux. Puis, une fois arrivée au bal, elle accepte de danser avec un autre type. Furieux, Daniel et Jackson se vengent de la manière la plus minable.



Les Photos d’Alix
(1980)

Avec Alix Cleo-Roubaud, Boris Eustache
Une photographe (Alix Cleìo-Roubaud) discute avec un jeune homme (le fils de Jean Eustache). Elle lui montre des photos qu’elle commente. Elle explique ses effets, ses intentions, explique le contexte, décrit les personnages. Tantôt on les voit parler, tantôt on voit les photos plein cadre. Peu à peu le commentaire s’écarte des images. D’abord un peu, puis de manière de plus en plus flagrante au point de ne plus correspondre du tout à ce qu’on voit.



Une sale Histoire 
(1977)
racontée en deux ségmants

PREMIERE VERSION : France | 1977 | Couleur | 28 mn
Un homme raconte devant une assemblée essentiellement composée de femmes, qu’il a découvert, dans le sous-sol d’un café parisien, un trou tout en bas de la porte des toilettes pour dames. Il s’est mis à descendre régulièrement, poser sa tête sur le sol de ces toilettes crasseuses pour observer le sexe des femmes. Le trou est devenu une obsession : il voulait voir directement par le sexe, plutôt que de passer par les étapes.

Réalisation et scénario Jean Eustache (d’après une histoire de Jean-Noël Picq)
Production Jean Eustache, Pierre Cottrell, Les Films du Losange.
Photographie Jacques Renard • Assistants caméra Jean-Noël Ferragut, Jacques Steyn Montage Chantal Colomer, Jean Eustache Son Roger Letellier • Assistant réalisateur Elisabeth Couturier, Bertrand Van Effenterre Scripte Claude Luquet.
Avec Michaël Lonsdale (le narrateur), Jean Douchet (le metteur en scène), Douchka, Laura Fanning, Josée Yann, Jacques Burloux

SECONDE VERSION : France | 1977 | Couleur | 22 min
La même histoire que celle racontée par Michael Lonsdale est raconté à nouveau cette fois par celui qui l’a vécu lui même, Jean-Noël Picq, version documentaire.

Image Pierre Lhomme, Michel Cenet Montage Chantal Colomer, Jean Eustache Son Bernard Ortion • Assistants réalisateur Luc Béraud, Bertrand Van Effenterre
Avec Jean Noël Picq (le narrateur), Elisabeth Lanchener, Françoise Lebrun, Virginie Thévenet, Annette Wademant

Informations

Rétrospective Jean Eustache : Après la révolution
A partir du 12 décembre 2024
Cinémathèques de Tel Aviv, Jérusalem, Herzlyia et Holon

Cinéma

Rétrospective Jean Eustache : Après la révolution
A partir du 12 décembre 2024
Cinémathèques de Tel Aviv, Jérusalem, Herzlyia et Holon


Ariel Schweitzer
Ariel Schweitzer est critique pour la revue les Cahiers du Cinéma et commissaire de la rétrospective Jean Eustache.

Pendant des années, le nom de Jean Eustache a été essentiellement associé à son chef-d’œuvre La Maman et la Putain, film de 1973. La plupart de ses films ont effectivement été peu distribués, en raison notamment d’un problème de droits survenu après le décès du réalisateur en 1981. Il y a environ trois ans, la société de distribution française Les Films du Losange a acquis les droits de tous ses films. Après leur restauration complète, ils peuvent enfin être diffusés, et ce mois-ci en Israël.

Eustache appartient à une génération de réalisateurs qui a émergé après le déclin de la Nouvelle Vague, dans la seconde moitié des années soixante et soixante-dix, qui compte également Maurice Pialat et Philippe Garrel. Son cinéma a été influencé par l’esprit de la Nouvelle Vague tant sur le plan technique et financier (productions contraintes, équipes réduites, prises de vue en extérieur) qu’esthétique (réalisme brut, prise de son directe). Mais ce qui singularise son oeuvre, c’est l’influence de son milieu social modeste, different de celui de la plupart des réalisateurs de la Nouvelle Vague qui ont grandi dans des familles bourgeoises.

Eustache est né à Pessac, une petite ville du sud de la France et a vécu sa jeunesse avec sa grand-mère dans la ville de Narbonne. Il étudie l’électrotechnique, qu’il exerce quand il arrive à Paris en 1957 en tant qu’ouvrier pour la compagnie ferroviaire publique. Parallèlement, il s’intéresse au cinéma, devient cinéphile et réalise ses premiers films en autodidacte. Ses deux premiers courts-métrages, Du côté de Robinson (1963) et Le père Noël a les yeux bleus (1966) rejouent les thèmes de la Nouvelle Vague, la séduction, la cour et les relations amoureuses – en les plaçant dans un nouveau contexte, celui des relations de classe (l’intrigue de l’argent est également au coeur des deux films). La sexualité est un autre motif central dans les films de Jean Eustache, entendue comme expression des défis posés par la révolution sexuelle des années soixante, comme les questions politiques qui les sous-tendaient. Il en est de même dans La Maman et la Putain, ainsi que dans Mes petites Amoureuses (1974), le deuxième long métrage d’Eustache, et dans une certaine mesure également dans Une Histoire sale (1977). L’œuvre d’Eustache peut en réalité être considérée comme une sorte d’autobiographie fictive basée sur différents épisodes de sa vie : son enfance et sa jeunesse dans le sud de la France (Mes petites amoureuses, Le Père Noël a les yeux bleus, ainsi que les documentaires Les Rosières de Pessac (1968-1979) et Numéro Zéro (1971)), et ses années d’adulte à Paris des années 60 et 70 (Du côté de Robinson, la Maman et la Putain, Une sale Histoire).

Certains spécialistes détaillent sa filmographie en trois grandes périodes : les fictions (courts et longs), les films documentaires et les films expérimentaux. Même si cette distinction est objectivement pratique pour aborder le travail d’Eustache, elle est bien trop simpliste par rapport à la réalité de ses films qui brisent volontiers ces frontières et ces catégories. Deux exemples éminents peuvent être cités là : La Maman et la Putain, long métrage de fiction au format expérimental dû sa durée inhabituelle, et Une sale Histoire qui répète par deux films la même histoire et le même texte, en confrontant la trame de la fiction, du documentaire et du cinéma expérimental. En fait, une partie importante de son travail est de nature méta-réflexive et étudie l’essence même du médium cinématographique, la relation entre réalité et représentation ou entre représentation documentaire et fictionnelle. Ainsi, Une sale Histoire interroge la part de voyeurisme du spectateur dans son expérience cinématographique, et Les Photos d’Alix, son avant-dernier film de 1981, utilise le motif de la photo dans le film pour questionner la complexe dichotomie entre vérité et mensonge qui trame le film lui-même.

S’il y a un point commun entre tous les films d’Eustache, c’est son amour pour la parole. Comme de nombreux réalisateurs français qu’il admirait, dont Marcel Pagnol, Jean Renoir ou Eric Rohmer, les films d’Eustache valorisent les dialogues et les monologues. Les propos oscillent constamment entre une banale quotidienneté et une abstraction presque philosophique (comme les longs monologues d’Alexandre, le héros de La Maman et la Putain). Mais comme chez Rohmer, la parole chez Eustache est avant tout une affaire de mise en scène, organisée dans l’espace et sublimée comme motif visuel, dramatique ou encore comme argument ironique.

L’ironie chez Eustache n’est jamais du cynisme, puisque ce qui prime dans son cinéma c’est son grand amour, son empathie pour les personnages, autour desquels plane un grand désespoir. Le désespoir d’une génération qui s’est laissée porter par l’utopie de la « révolution » et qui a parfois payé sa déception au prix fort.

Informations

Rétrospective Jean Eustache : Après la révolution
A partir du 12 décembre 2024
Cinémathèques de Tel Aviv, Jérusalem, Herzlyia et Holon